La révolution neuchâteloise démarra de ce bâtiment au 1 de la Grand Rue, au Locle, en 1848. Mais la révolution qui se joue aujourd’hui concerne davantage l’hôtellerie. Depuis douze ans, la coopérative Savoir-Faire Le Locle se bat pour redonner du lustre à ce bâtiment patrimonial, parti en fumée en 1994, puis laissé à l’a-bandon. Elle a pu engager six millions et mobiliser la crème des architectes, artisans locaux. Depuis février, la Fleur de Lis se mue en nouveau joyau hôtelier d’une ville des montagnes neuchâteloises qui en manquait considérablement. Avec un seul 3 étoiles de 40 chambres recensé, les Trois-Rois, et plusieurs offres originales de petites capacités comme l'Auberge du Prévoux, la guesthouse de la Maison DuBois ou les cabanes dans les arbres Les Nids.

Des poutres d’origine, des murs à la chaux, du béton vivace dialoguent avec une literie moderne et des meubles chinés. Le goût sûr pour les aménagements intérieurs de l’architecte William Darbellay fait mouche à la Fleur de Lis. Après quelques mois de flottement, une première tentative d’un couple de directeur vite reparti, c’est le chef parisien Matthieu David qui désormais accueille. Une figure bien connue de la bistronomie de terroir qualitative en ville de Neuchâtel. Depuis fin avril, il reprend totalement la direction d’une équipe de 10 personnes avec décontraction et sérieux. Il met notamment tout son cœur dans le conseil à la clientèle, convaincu en riant que son style casquette et création vivante à l’encre sur l’avant-bras de l’artiste Tenko peut convaincre autant qu’un austère costard cravate pour vendre des chambres «où, si l’on entend un bruit, il s’agit de la fontaine».

Derrière son bureau de bois à l’entrée, Matthieu David semble se réjouir de ce challenge inattendu et peut faire profiter de son expérience tous azimuts: «Je suis parti travailler très tôt, il a bien fallu. Cela m’a emmené dans le monde des start-up informatiques. Mais le vendredi, je laissais tomber ma veste pour commencer mon apprentissage de cuisinier, pour arriver aux fourneaux d’un des meilleurs bistrots de Paris où j’ai appris la philosophie du fait maison. Et puis Le Cardinal, le Chauffage Compris, L’Interlope à Neuchâtel et tous les étés, les fourneaux de la Plage des Six Pompes à La Tchaux.»

Le voilà à la tête d’un hôtel-galerie de 22 chambres, toutes décorées par des plasticiens neuchâtelois, allant de l’audace grave et des couleurs virtuoses de Rolf Blaser à la loufoquerie débridée de Plonk et Replonk. L’établissement vise la classification 3 étoiles supérieur.

Matthieu David en parle avec passion: «On dispose de huit chambres de luxe, huit de catégorie supérieure et six studios dont deux équipés de cuisine, tout cela sur trois niveaux et demi comme dans le film ‹Dans la peau de John Malkovich›. Souvenez-vous la porte qui mène dans sa tête se trouve au septième étage et demi.» Matthieu David ne manque jamais une formule presque incantatoire.

Une terrasse et un espace pour les produits du terroir
La Fleur de Lis propose aussi deux salles de réunion de 10 et 30 places idéales pour le monde horloger, lorsqu’il retrouvera son rythme de croisière. «Oui, la clientèle horlogère reste une évidence dans le business plan de l’hôtel, nous avons de très bonnes relations avec Cartier, Zenith, Tissot et Swatch.» Ce qui peut offrir une complémentarité intéressante avec l’offre du Grand Hôtel des Endroits, à La Chaux-de-Fonds, un 4 étoiles très prisé par les orfèvres de la précision.

Depuis la fin de la crise, les touristes de Suisse alémanique commencent à se bousculer dans cette nouvelle adresse: «Oui, ces premiers week-ends de reprise affichent complet. Ils connais-saient déjà bien le Jura et commencent à ruisseler vers Le Locle. Ils découvrent notre nature ma-gnifique et les rives du Doubs. La Neuchâtel Tourisme Card et sa multiplicité d’offres gratuites nous aide à vendre cette belle région», explique Matthieu David. Il raconte cette famille en vélo venue pour deux nuits, qui prolongeait sans cesse pour finalement profiter d’un séjour de onze nuitées. Une terrasse et un espace consacré aux produits du terroir achèveront de construire l’offre ces prochains mois.

Un dessert de cerises et de lait d'amande
La passion première de Matthieu David reste les fourneaux où il officie toujours deux fois par semaine. Il donne aussi toute sa confiance au jeune chef Valentin Leuba, un touche-à-tout comme lui, passé d’études de chimie à l’EPFL à la pâtisserie de Châteauvieux, chez Philippe Chevrier à Genève, et à l’enseignement de son métier aux apprentis neuchâtelois. Une délicate joue de bœuf cuite quatorze heures, accompagnée d’incroyables pommes de terre et un joli dessert de cerises, lait d’amande achève de convaincre de la pertinence de ce duo en cuisine. Sur le secret de la patate, Matthieu David dit simplement: «Arrêtez de la tremper dans l’eau, juste à la vapeur et un final dans la sauce de cuisson de la joue.»

Quant aux vins, Matthieu David peut partager sa passion pendant des heures: «J’aime les vrais Pinots Noirs, ceux qui pinotent, dont on reconnaît immédiatement la matière.» Et rêve petit à petit de raconter la magie des vins nature aux clients de la Fleur de Lis. Pour l’instant, il partage presque en secret un Chardonnay Chapon Blanc du Bourguignon Vincent Talmot. A l’idée de nous le faire découvrir, il frémit et en humant dit délicatement: «Tu sais ce parfum de petit pot de crème acidulée.» Au Locle, jadis méprisé par les classements du magazine Bilanz, la vie semble douce au contact de cet homme raffiné que ses amis surnomment panda.

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